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En 1946, le père de Solis débarque avec ses frères, leurs femmes et une ribambelle de neveux à Santo Domingo de Palenque. A la recherche de terres à cultiver, la famille s'égaille dans la forêt... et tombe sur des "maisons de pierre", manifestement abandonnées depuis longtemps. Incrédules, ils viennent de pénétrer, les premiers, sur l'un des plus fabuleux sites mayas.

Le père de Solis, envoyé à Palenque par son évêque, arrive du Chiapas, région rurale où l'on ne connaît que le torchis et le chaume, seules quelques églises étant bâties en dur. On imagine alors la surprise de la famille du curé devant ces monuments de pierre. Un émerveillement que tous les visiteurs, depuis, ressentent. Palenque occupe une place à part dans l'histoire de l'exploration des sites mayas. Si la plupart d'entre eux ont été "découvertes" au xxè siècle, on s'est en réalité rapidement aperçu que beaucoup avaient, déjà, reçu la visite d'un missionnaire, d'un militaire ou d'un fonctionnaire. Visite dont on retrouve la trace dans quelque archive; visite après laquelle les sites retombèrent dans le plus total oubli.
Palenque fait exception : les ruines révélées par le père de Solis, parce qu'elles sont facilement accessibles et bien conservées (la majorité des constructions ont encore leur toit), vont connaître, à partir de leur première découverte, un incessant défilé de curieux, aventuriers, savants et touristes.


L'histoire da la découverte de Palenque, Ramón Ordónez l'entend sur les bancs de l'école, de la bouche même d'un des neveux du père de Solis

En 1773, devenu adulte et entré dans les ordres, il signale l'existence des ruines au gouverneur du Guatemala, don José Estacheria. Celui-ci s'empresse, en 1784, de dépêcher sur les lieux José Antonio Calderón, fonctionnaire local, qui produit un rapport très administratif, dressant la liste de plus de 220 bâtiments dont 18 palais, 22 grandes constructions et 168 maisons. Il fait cette curieuse - et parfaitement fausse observation que la disposition de tous ces édifices forment des rues. En 1785, le gouverneur envoie à Palenque Antonio Bernasconi, un architecte. Son rapport comprend un plan et une estimation de l'étendu du site, qui serait compris dans un cercle d'une circonférence de "six lieues et mille vares castillanes". Il est accompagné de dessins d'architecture, notamment des élévations et des coupes de voûtes. Dans ses conclusions, Bernasconi signale que la cité n'a été ruinée ni par un tremblement de terre ni par une éruption volcanique, mais simplement par l'abandon progressif de la population.

Le roi d'Espagne veut des échantillons du site. Pour satisfaire ses désirs, del Rio se livre à un saccage systématique

Le dossier sur Palenque est maintenant assez explicite et détaillé pour être soumis au roi d'Espagne, que l'on sait amateur de ces choses. Charles 111 en effet, avant de régner sur l'Espagne, a été roi à Naples et a financé les premières explorations de Pompéi; il a en outre constitué une importante collection d'archéologie classique. Après avoir consulté Jean-Baptiste Mufioz, le spécialiste officiel de l'histoire du Nouveau Monde, le roi donne l'ordre au gouverneur du Guatemala de faire poursuivre les recherches en faisant des fouilles. Bernasconi vient de mourir et c'est le capitaine Antonio del Rio qui part à sa place. Le 5 mai 1786, il arrive sur le site que l'on appelle "Casas de Piedra", mais la forêt est si épaisse qu'il ne voit rien. Sur sa demande, les autorités réquisitionnent 79 Indiens qui, armés de haches, défrichent les alentours des ruines.
Del Rio suit à la lettre les instructions royales, décrivant et mesurant les monuments, prélevant le plus possible d'échantillons. Il arrache ici une tête en stuc, là un panneau en calcaire sculpté de glyphes. Plus loin il rend bancal un trône de pierre en prélevant un de ses pieds sculptés. Il mutile une inscription modelée en stuc en faisant sauter les glyphes les mieux conservés. Il fait des trous ici et là dans les pièces des édifices du palais, dans les temples et, à plusieurs reprises, découvre des offrandes de poteries et d'armes de pierre. Les produits de ce saccage sont envoyés au Cabinet royal d'histoire naturelle à Madrid.


Impossible décidément d'admettre qu'une telle maîtrise dans l'architecture soit l'oeuvre des seuls indigènes

Ce n'est qu'en 1822 que le rapport de del Rio est publié, mais à Londres et en anglais; il est accompagné de dessins gravés par un certain Waldeck. Pour del Rio, comme pour beaucoup de gens à son époque, il ne peut y avoir de grande civilisation que classique. Les édifices de Palenque font son admiration, aussi en déduit-il que les Grecs ou les Romains y ont mis la main. "je ne prendrai pas sur moi de dire que ces conquérants [les Romains] débarquèrent dans ce pays; il y a cependant de fortes chances que des représentants de cette nation policée aient visité ces régions. A leur contact, les indigènes auraient reçu pendant leur séjour une certaine idée de leurs arts, en récompense de leur hospitalités".
Par ailleurs del Rio observe et précise dans son rapport qu'il est absolument convaincu de "l'identité des anciens habitants du Yucatàn et de ceux de Palenque, manifestement démontrée par la forte analogie de leurs coutumes, de leurs édifices et de leur connaissance des arts,"... Vingt ans après, Palenque reçoit la visite du capitaine Guillermo Dupaix, chargé par le nouveau souverain espagnol, Charles IV, d'effectuer une reconnaissance, à travers tout le Mexique, des ruines qui datent d'avant la conquête. Cet Autrichien, au nom d'origine française, a reçu en Italie une bonne formation classique. Il a fait carrière dans l'armée espagnole, d'abord en Espagne, puis au Mexique. Entre 1805 et 1807, il entreprend trois voyages d'exploration archéologique et c'est au cours du troisième qu'il visite les ruines mayas de Toninà et de Palenque.
Un dessinateur mexicain, Luciano Castafieda, l'accompagne. Les gravures exécutées à partir de ses dessins sont très "embellies" et mises au goût de l'époque. La reproduction des bas-reliefs et surtout celle des glyphes, très fantaisiste, démontre, à l'occasion, que l'artiste ne comprend pas les images qu'il Cherche à reproduire. La production de Castaneda apparaît cependant bien supérieure aux dessins exécutés par ses prédécesseurs. Dupaix, lui, est un bon observateur. il remarque que toute l'architecture en dur utilise des pierres et non des briques (Comalcalco est le seul site maya à faire exception), que les linteaux sont en bois, que les bas-reliefs utilisent deux techniques de modelage en stuc, etc. C'est bien après la guerre d'indépendance du Mexique que font surface les rapports de Dupaix et les dessins de Castaneda.