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Nous sommes en 1502. Les mayas sont dans la deuxième année du katun 4 Ahau. Ils sont 25 entassés sur un canot creusé dans un tronc géant. Venant de l'ouest, ils se dirigent vers l'île de Guanaja. C'est là, dans les eaux du golfe du Honduras, que va se produire une bien singulière rencontre...


A bord du canot, le chef de l'expédition espagnole est assis sous un dais qui l'abrite du soleil. Autour de lui, est réunie sa suite : hommes, femmes et enfants. Il vient du Yucatán commercer avec les barbares de la côte et des îles. Des esclaves, la corde au coup pagaient en mesure. Au fond du bateau s'amoncellent les ballots de marchandises pleins de vêtements de coton aux couleurs vives, de couteaux de silex, d'épées de bois dur aux bords incrustés de lames tranchantes, qui constituent la monnaie d'échanges. Au pieds du chef, le trésor de la cargaison : cosses de cacao, petites haches et grelots de cuivre.


Soudain, l'un des hommes pousse un cri d'étonnement. Depuis le temps qu'il navigue dans ces parages, jamais il n'a remarqué ces trois grands récifs devant Guanaja. Peu après, un de ces compagnons crie plus fort encore : il a cru voir bouger les récifs. Comme un signal, la pagayeurs restent pétrifiés, la rame en l'air.On échange des regards inquiets. Le chef, sans un mot, fait signe d'avancer. Le canot se rapproche. Les îlots ressemblent à de grand bols à demi immergés, au dessus desquels se dressent de hauts troncs dépouillés d'où pend un réseau de cordes. Ils sont habités, c'est sûr : au-dessus de la masse sombre, des silhouettes humaines s'agitent. Hommes... ou dieux ? Ces créatures ne laissent voir de leur corps que les mains et le visage; un visage - ils vont bientôt l'apprendre - souvent recouvert de poils, comme celui des singes. Courageusement, l'expédition s'approche de la montagne flottante.
A son sommet, les créatures gesticulent et parlent haut. Ces récifs seraient-ils d'immenses canots que les créatures auraient construit elles-mêmes ? On les invite à monter et on leur jette des échelles de corde. Le chef donne l'exemple et passe le premier. Des cadeaux sont échangés. De part et d'autre, on s'étonne; on regarde, on sent, on palpe les vêtements, les peaux, les ornements, les objets des "autres". Les étrangers, bien sûr, ne parlent pas leur langue. Par gestes, ils montrent la direction d'où vient le canot. Alors les indiens répondent : maiam.
Tel fut le premier contact entre les Mayas de la péninsule du Yucatán et les caravelles de Christophe Colomb, au mouillage devant Guanaja. Le grand explorateur des Indes Occidentales - ce continent qu'on appellera plus tard "Amérique" - faisait là son quatrième voyage de découverte.



Neuf ans après cette brève rencontre, les premiers Espagnols foulent le sol maya...
pour leur plus grand malheur

Ce ne sont pas des conquérants qui mettent pied sur "Mayathan", mais les rescapés d'un naufrage survenu au large de la Jamaïque. Ils débarquent dans un état lamentable, sur une plage du Yucatán, face à l'île de Cozumel. Voilà treize jours qu'ils décrivent dans un canot sans voiles ni vivres. Ils ont vu mourir de faim et de soif la moitié de leurs compagnons. A peine ont-ils touché la grève qu'ils sont accueillis par une troupe d'Indiens qui remercient le ciel de leur envoyer - sans qu'ils aient même à aller chercher - des victimes pour leurs sacrifices. Victimes peu reluisantes, il est vrai, mais d'une espèce si étrange... que les dieux devraient apprécier. La moitié des naufragés périt, la poitrine ouverte et le coeur arraché, sur l'autel. Les autres sont mis en cage. Destinés à être sacrifiés à la prochaine fête, les prisonniers sont gavés pour reprendre l'embonpoint perdu ces dernières semaines. Deux d'entre eux survivront : Aguilar deviendra l'esclave d'un chef qui l'épargnera, en considération de son zèle à le servir. Guerrero, dans une autre tribu, deviendra, lui capitaine de guerre, se mariera, aura une famille et s'assimilera complètement.


La chance de la colonisation espagnole est d'avoir commencé par les îles.
Mieux organisées que les insulaires, les peuples du continent auraient écrasé les Européens

Après avoir rapidement exterminé ou réduit en esclavage la population de Cuba et d'Hispaniola (que se partagent aujourd'hui les Etats de Haïti et de Saint Domingue), les Européens ont fait de ces îles des têtes de pont solides, à partir desquelles ils ont lancé des expéditions de découverte. L'expédition de Hernández de Córdoba, en 1517, est l'un de ces raids. Córdoba part chercher des esclaves - qui commençaient déjà à manquer dans les îles - et aussi, qui sait, de l'or. Il se dirige vers l'ouest et débarque sur une île qui comme Cozumel, est toute proche de la côte nord-est du Yucatán. Là, les Espagnols sont stupéfaits de rencontrer la civilisation, sous la forme d'édifices construits en dur, qui contrastent avec les simples huttes des Caraïbes. Parce qu'ils visitent des temples qui abritent nombre d'idoles féminines, ils la baptisent "île des Femmes". Ils mettent la main sur quelques objets d'or, qui fourniront le prétexte à de futures expéditions. Puis Córdoba lève l'ancre, longe la côte vers le nord et contourne la péninsule jusqu'à sa bas, où se trouve la ville de Champotón. A terre, les Espagnols sont férocement attaqués par les Mayas. Recourant aux grands moyens, Córdoba fait donner l'artillerie du navire. Après ce baptème du feu - on imagine la terreur qu'ils ont dû vaincre -, les Mayas se ressaisissent et infligent de lourdes pertes à leur adversaires. Córdoba lui-même mourra peu après, à Cuba, des suites de trente-trois blessures reçues pendant la bataille.

Mais dès le retour de cette expédition, tout Cuba ne parle plus que de l'or amassé à lîle des femmes. Les Espagnols apprendraont plus tard, et à leur dépens, que le sol du Yucatán ne recèle malheureusement pas la moindre trace d'or. Les divers objets métalliques raflés par Córdoba proviennent en fait du Honduras ou de régions situées bien plus au sud, avec lesquells les Mayas font commerce. Pour l'instant, le gouverneur de Cuba, Diego Velásquez, prend l'histoire au sérieux. Il fait armer 4 bons vaisseaux et recrute 200 hommes de confiance, qu'il place sous le commandement de son neveu, Juán de Grijalva.

Arrivée à Cozumel, la flottille cette fois longe la côte vers le sud : pensant dans un premier temps que le Yucatán est une île, Grijalva cherche à en faire le tour. L'expédition parvient à la baie de l'Ascension, puis rebrousse chemon et refait tout le tour de la péninsule; nouveaux revers pour les Espagnols. Ils repartent en suivant la côte et quittent le pays maya, pour arriver jusqu'au Rio Panuco, à quelques 1 200 km de là. Grijalva s'est fixé comme règle de s'interdire tout pillage, de ne livrer combat que contraint, et surtout de négocier.


Les contacts avec les indigènes de diverses nations, tantôt acueillants, tantôt hostiles, sont épisodiques

Au cours du voyage, les Européens entendent parler, pour la première fois, de la richesse et de la puissance des Aztèques. Après cinq mois de croisière, la flotille retourne à Cuba. De plus en plus désireux de conquérir le pays Maya, les Espagnols investissent dans des expéditions chaque fois plus importantes. Herman Córtés appareille le 18 Février 1519 avec 11 vaisseaux, 508 hommes et 6 chevaux. A Cozumel, il apprend l'existence d'hommes barbus à six jours de là. Un message leur est renvoyé, mais n'ayant pas de réponse au bout de six jours, Cortès décide de repartir. Il doit rapidement revenir au port pour réparer une coque qui fait eau. Alors arrive Aguilar, pleurant de joie et rendant grâce à Dieu. Son premier souci est de savoir si l'on est bien mercredi : pendant huit ans, il a tenu le compte des jours du calendrier chrétien ! Guerrero, lui, refusa d'abandonner sa nouvelle famille et sa tribu d'adoption.

Avec le même pilote que pour les deux précédentes expéditions, les navires font voile vers le nords, coutournent la péninsule et, quittant le pays maya, longent les côtes du Tabasco et du Veracruz. Cortés débarque bientôt, et pour de bon - n'a -il pas brûlé ses vaisseaux pour décourager les résistants ? -, sur le sol mexicain, à la conquête de l'empire aztèque, qu'il mettra à genoux pendant un an. Il faudra en revanche vingt ans aux Espagnols pour conquérir le Yucatán. Peu nombreux, ils vont d'un groupe à l'autre, sommant les indigènes de prêter serment d'allégeance à la couronne d'Espagne. Ils sont bien souvent reçus par des volées de flèches. Mais ils savent tirer profit, dans ce pays très divisé, des inimitiés entre tribus rivales.